vendredi, juin 08, 2007

L'harmonie par la censure

Censeur est un beau métier en Chine. On passe son temps à surfer d'un site à l'autre, à lire les blogs les plus fous, et de temps en temps, à en interdre un, à en autoriser un autre, à bloquer toute une plateforme... . Il semble (comment savoir) qu'il y ai plusieurs centaines de fonctionnaires comme ceux-la sur Pekin.

Deux exemples :

Le premier nous est présenté par le site EastSouthWestNorth (
http://www.zonaeuropa.com/200611.brief.htm#087 ), avec le blog d'un dénommé Lian Yue, apparemment très populaire et basé dans le sud de la Chine. Mais il avait le malheur d'être hébergé par la plateforme de blogs MSN semble-t-il inaccessible depuis quelques jours. Lian Yue a donc déménagé son blog en mandarin sur une autre plateforme et expliquait mardi à ses lecteurs : "I have been writing over at MSN Spaces for several years. I thought it was not bad, because there was no web administrator jumping in to delete stuff. But it is over. Last Saturday, it died totally. In this nation with the most free Internet, this is actually a common event. Of course, starting a new blog is a very simple matter. This sort of thing can go on repeatedly, because the costs for both sides are low. But it is a nuisance for everybody to update their links. ... So it is not a big deal or loss to move elsewhere. I am not going to move the original blog posts here, because I am too lazy and beside, I don't see the need. You should read the latest and most interesting things. The new location is probably just like MSN Spaces. It'll be a bit slow, and it does not look like an authentic Chinese-language interface. But they probably will not be deleting your blog posts every couple of days for the sake of their survival. The imperfect thing is that it does not provide blog links, and it has some ads on the right-hand column (I get nothing out of it). I insist on the following ideas for blogs:It should be freely accessible to the public, because proxy services are suitable for just a few people;I will try to make it survive as long as possible;I will write and link to whatever I want and I will not accept any debate under censorship (or else I shouldn't bother to get on the Internet)." "j'écrivais sur MSN depuis des années, je pensais que c'était bien parce qu'il n'y avait pas d'administrateur pour te sauter dessus pour couper ce que tu as écrit.Mais c'est fini, depuis samedi dernier c'est mort. Dans ce pays, c'est courant avec les sites internet les plus libres. Bien sur, c'est très simple de démarrer un autre blog. Ce petit jeu peut continuer très longtemps car cela ne coûte pas cher aux deux parties. Mais c'est juste génant pour tout le monde de devoir mettre à jour leurs liens. (...) J'insiste pour la chose suivante concernant les blogs : ils devraient être librement accessibles au public car les proxies ne sont utilisés que par une minorité de gens. Je vais essayer de survivre le plus longtemps possible. J'écrirai et établirai des liens avec tout ce que je veux et je n'acepterai pas de débattre sous la menace de la censure (ou j'arrêterai simplement de venir sur l'internet)".

Deuxième exemple, Wikipedia dont le blogmédia nous raconte que la semaine dernière l’accès à l’encyclopédie en ligne est redevenu possible en Chine. Des milliers d’internautes s’étaient alors rués sur le site, y postant plus d’articles en chinois que dans n’importe quelle autre langue (sauf l’anglais). Les censeurs se sont toutefois ravisés quelques jours plus tard et ont refermé le robinet.

Ainsi va la vie en Chine, entre censeurs et internautes... Combat d'arrière-garde ou garantie d'"harmonie sociale" ? Je penche plutôt pour le premier...

Harmonie, tel est aujourd’hui le maître mot de la politique chinoise. Il faut “promouvoir l’harmonie entre l’homme et la nature”, “renforcer l’harmonie sociale”, “raffermir et développer l’unité de la population, pour un environnement politique vivant, sûr et harmonieux”, “travailler à la cohabitation harmonieuse des diverses forces, préserver la stabilité de la société internationale”. Dans un discours prononcé devant les cadres du parti et de l’armée en février 2005, Hu Jintao a ainsi défini les conditions d’une “société socialiste harmonieuse”. L’harmonie est une notion centrale dans la culture chinoise, d’abord un idéal social préconisé par les philosophes antiques, puis un modèle politique observé par les empereurs à travers les dynasties. Le roi Zhou You, des Zhou occidentaux, Confucius, Mencius, et bien d’autres hommes politiques et penseurs y ont fait référence. Mais, dans une dictature, l’harmonie ne peut exister que par hasard et est de courte durée. C’est la dysharmonie qui est logique et durable, à un degré variant avec celui d’oppression. L’idéal d’harmonie n’est qu’une galette jetée aux affamés et qui ne peut les assouvir – une utopie. Une dictature de parti telle que nous en connaissons aujourd’hui, insidieuse, répressive et corrompue, voit partout surgir les oppositions et ne peut maintenir la stabilité que par de fortes pressions – l’harmonie est obtenue sous la lame du couteau. Celle que préconise Hu Jintao est tout entière tournée vers la préservation de la dictature d’un parti unique. Comment ose-t-il évoquer “l’Etat de droit démocratique, la justice et l’équité, la fraternité et la confiance, l’animation, l’ordre et l’harmonie entre l’homme et la nature” ? Sur l’étal des mots d’ordre politiques, les belles paroles ne coûtent pas cher. Tous les mots porteurs d’idéaux humains sont pervertis par le Parti communiste. En 1941, un journal écrivait : “Il faut appliquer une politique démocratique, et pour cela mettre fin à la dictature du parti unique.” C’était le journal Jiefang Ribao [Libération] du Parti communiste chinois, en lutte contre le Kuomintang. (D’après Donghai Yixiao, province du Guangxi, et Yibao, Boston.)

En Chine, trois journalistes licenciés pour avoir publié une publicité saluant les "courageuses mères" des victimes de Tiananmen LE MONDE 09.06.07 14h12

C' était seulement une annonce payante dans un journal, mais son contenu était explosif : lundi 4 juin, le quotidien Chengdu wanbao (le soir de Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, dans le Sud-Ouest chinois) a publié un encart publicitaire rendant hommage "aux courageuses mères" des victimes de la répression du "printemps de Pékin" de 1989.
L'annonce est parue le jour même du 18e anniversaire du massacre perpétré par l'armée, et saluait ainsi l'association de ces dames qui s'obstinent encore aujourd'hui à défendre la mémoire de leurs fils ou filles tués lors de la violente répression du mouvement démocratique de la place Tiananmen.

Le couperet n'a pas tardé à tomber : le rédacteur en chef et deux de ses adjoints ont été limogés quelques jours plus tard, sans que l'on ait pu savoir si un responsable avait intentionnellement osé laisser passer cette rare provocation imprimée, ou si l'affaire a été le fruit d'une négligence de la part des responsables du secteur de la publicité.
Selon un quotidien de Hongkong, cité par Reporters sans frontières (RSF), la jeune employée qui avait donné son accord pour le passage de l'annonce ne savait même pas que les "événements" de Tiananmen avaient eu lieu... Une ignorance assez souvent partagée parmi la jeune génération qui n'a pas connu cette page de l'Histoire de Chine et semble souvent apolitisée à l'heure du foudroyant décollage économique. La jeune femme avait téléphoné à l'auteur de l'annonce qui lui avait affirmé avec aplomb qu'il s'agissait d'un encart rendant hommage aux mères des victimes d'un accident minier... La publicité était discrète : elle remplissait seulement une ligne du journal.
L'association des mères de Tiananmen continue encore aujourd'hui de demander au gouvernement chinois des excuses officielles et des compensations. La brutale répression du mouvement démocratique par l'armée du régime a fait, le 4 juin 1989, des centaines, voire des milliers de morts lors du déclenchement de l'assaut par l'armée autour de la célèbre place de la Porte de la paix céleste. La simple mention de ces "événements" est impossible en Chine où le sujet est le tabou politique le plus résistant à l'évolution du régime dirigé par les héritiers de Deng Xiaoping, l'ex-numéro un chinois.

Aucun commentaire: