lundi, juin 18, 2007

Histoire morbide

Un homme arrêté après avoir tué six femmes pour servir d'escorte dans l'au-delà.
Noces d'outre-tombe pour célibataires chinois
Par Pascale NIVELLE
QUOTIDIEN Liberation : mardi 22 mai 2007

Même dans l'au-delà, il ne fait pas bon être célibataire dans certaines provinces de Chine. Dans le Hebei, le Henan ou le Shanxi, les paysans sont prêts à dépenser des milliers de yuans pour assurer la félicité éternelle à leurs défunts disparus sans avoir trouvé l'âme soeur. A la mort de leur fils, ils se mettent en quête du cadavre d'une femme, si possible de son âge, qui sera enterrée à ses côtés lors d'une cérémonie et l'accompagnera dans l'autre monde. Ce n'est pas toujours facile. Surtout que cette coutume, pratiquée depuis la dynastie Ming, est sévèrement combattue par les communistes, hostiles aux superstitions.
A Linzhang (Hebei), Song Tiantang proposait un service clé en main pour ces noces funèbres. Contre 3 000 ou 4 000 yuans (300 ou 400 euros), ce chômeur de 52 ans promettait de fournir une épouse fantôme aux familles en détresse. Il a commencé en 1998, en déterrant des cadavres dans les cimetières, avant de se faire arrêter et de passer deux ans en prison. En sortant, toujours persuadé de tenir un bon business, il a réactivé son réseau de revendeurs et a changé de technique. Plutôt que de fouiller les cimetières, il allait maintenant tuer les jeunes filles à marier outre-tombe.
Six malheureuses ont croisé sa route. Les quatre premières étaient des petites paysannes illettrées et simples d'esprit, qu'il cueillait sur les routes de campagne, leur proposant de faire un bout de chemin sur le porte-bagages de son vélo. Il les a étouffées. Les deux autres cherchaient du travail, il les a trouvées dans une agence, leur proposant de venir s'occuper de son ménage et de ses chiens pour 650 yuans. Toutes ont fini dans un cimetière, pour le bonheur de leur époux fantôme et celui, plus éphémère, de Song. En décembre, les familles des deux femmes de ménage se sont inquiétées après plusieurs mois de disparition et ont alerté la police.
Celle-là a d'abord arrêté trois intermédiaires, tous notables du même village, chargés de trouver les clients garantissant des cadavres en bon état et trépassés de mort naturelle. Selon l'âge, du mort et du corps, les prix peuvent grimper vite. «J'ai vu un jeune homme offrir jusqu'à 20 000 yuans pour le corps d'une jeune fille destinée à son frère mort» , a raconté à la presse chinoise Wang Xiang Jun, un avocat spécialiste de ce genre d'affaires dans le Hebei. Selon lui, la pratique reste courante. D'ailleurs, les cendres ont aussi une cote. Un employé des pompes funèbres d'Anyang, dans le Henan, profite de l'affaire Song, très médiatisée, pour faire un peu de publicité dans le quotidien les Nouvelles de Pékin : «J'ai justement en ce moment une femme de 37 ans morte de maladie, célibataire. Son corps a été incinéré mais sa famille me demande de lui trouver un compagnon qui sera prêt à acheter ses cendres 3 000 yuans, je prends une commission de 1 000 yuans. Dans le cas des décès dans les accidents de mines, je prends plus. Les familles de mineurs sont riches.» Les cadavres d'hommes ne valent rien. Le bonheur éternel des femmes célibataires non plus.
Les intermédiaires du réseau Song oeuvraient peut-être pour les défunts et n'étaient payés que 200 à 300 yuans pour chaque prestation. Ils sont en prison. Quant au cerveau, arrêté le 12 avril, il a déclaré n'avoir agi que pour l'argent : «Je rêvais de devenir millionnaire , a-t-il dit aux enquêteurs. La vue des hommes d'affaires qui réussissent m'a toujours rendu jaloux.» Le gouvernement chinois fait beaucoup de battage autour de cette affaire et y va de ses leçons de morale dans les dépêches de l'agence de presse Xinhua : «L'édification du socialisme nous apprend à placer l'esprit scientifique au-dessus de tout et à chasser les superstitions.»
Pour cette raison, des journalistes des Nouvelles de Pékin ont été autorisés à interviewer Song Tiantang, dont le prénom signifie «paradis», dans sa prison.
Extraits parus hier :
«Comment avez-vous eu l'idée de tuer pour vendre des cadavres ? ­ Les cadavres "secs" sont bon marché et moins demandés. Les cadavres "frais" se vendent beaucoup plus cher. J'avais des dettes à rembourser à l'époque. ­
Pourquoi avoir misé sur des femmes déficientes intellectuellement ? ­
Les gens ne les cherchent pas après leur disparition, et elles ne résistent pas quand je les tue. Les femmes de ménage des agences d'emploi ne sont pas du coin, cela pose moins de problèmes. ­
Qu'avez-vous dit aux acheteurs ? ­
Chaque fois, je racontais une histoire et je donnais un faux nom aux cadavres. Ils ne me demandaient aucun papier. ­
Ne trouvez-vous pas cela cruel ? ­
Chaque fois, avant de vendre, j'achète une tenue rouge [couleur du mariage] spéciale pour le cadavre. Je souhaite qu'elles partent dans l'autre monde et ne reviennent plus. C'est tout de même moi qui les ai envoyées au paradis plus tôt qu'elles devaient.»
Les corps des deux jeunes femmes de ménage ont été rendus à leurs familles. Des expertises ADN ont été réalisées sur les quatre autres victimes, que personne n'a encore réclamées.

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