mardi, juillet 03, 2007

Dernier post depuis la Chine

Voila,
Aujourd'hui, j'ai recu mon visa pour l'annee prochaine. Apres une heure d'attente dans une longue file a pousser des coudes, le precieux sesame est dans ma poche.
D'ici quelques jours (samedi), je part passer le week-end a shanghai puis, lundi 9, retour vers la Belgique. Ce message est le dernier poste depuis la Chine.

Voici (pour information) une serie d' articles.

La coquille vide du Parti communiste chinois, par Cai Chongguo
LE MONDE 02.07.07 14h33 • Mis à jour le 02.07.07 14h33


On aura rarement vu, pour la fête anniversaire du parti, le 1er juillet, une ambiance aussi déprimée en Chine. Depuis la fin du mois de mai, les sites Internet ont dénoncé les scandales des conditions de travail et, pour commencer, celui des ouvriers esclaves employés dans une briqueterie. La presse et la télévision officielles elles-mêmes ont dû parler de cette affaire. La briqueterie du Shanxi employait trente-deux gosses. Quelques jours plus tard, quatre cents pères d'enfants disparus ont lancé un appel de recherche désespéré. Tous les médias et sites Internet ont évoqué ces scandales : des enfants de 8 à 13 ans, réduits à l'esclavage dans cette briqueterie, subissaient des sévices quotidiens, sans aucun salaire et laissés plusieurs mois sans possibilité de se laver.
Cette barbarie a été dévoilée dans une Chine qui compte déjà 150 millions d'internautes et 50 millions de blogueurs. Le réseau a fourni un espace de discussion et de commentaires comme on n'en avait jamais vu depuis 1989. Chaque émotion manifestée devant le sort réservé à ces enfants a suscité un émoi cumulatif chez d'autres internautes. A cette émotion s'est ajoutée de l'indignation du fait de l'implication du parti et des autorités locales dans ces affaires. Le secrétaire du parti dans le village appartenait à la famille qui possédait la briqueterie et il était membre de l'assemblée populaire locale.
On s'est mis alors à reparler des explosions dans les mines, des trafics d'enfants ou du travail forcé, choses révélées depuis des années dans la presse mais d'une façon dispersée ; alors qu'aujourd'hui cette accumulation de faits frappe les esprits et provoque une sorte de choc. Devant cette indignation collective, la censure gouvernementale s'est trouvée paralysée pendant deux semaines et n'a pas su comment intervenir. Elle a laissé les internautes s'exprimer librement sur le sujet pour exprimer leurs colères et donner leurs analyses et leurs commentaires.
Ces discussions ont montré que le travail sous contrainte est en train de s'institutionnaliser un peu partout dans le pays et que, si les journaux avaient soulevé la question depuis longtemps, le gouvernement n'avait pratiquement pas réagi. Il en a résulté un flot de critiques, voire d'insultes, à l'égard des dirigeants et du parti, avec des phrases non censurées telles que : "Nous sommes tous des esclaves des gens de Zhongnanhai" ; "Ils se comportent en propriétaires d'esclaves". Autrement dit des termes mille fois plus durs que ceux des dissidents de naguère.
On a commencé à croire ce à quoi on ne croyait pas auparavant : par exemple, les critiques émanant des pays occidentaux au sujet des droits de l'homme ou de la tragédie de 1989 à Tiananmen. On s'est rendu compte que le pays pouvait laisser s'installer une extrême cruauté. L'on s'est mis à s'interroger sur le rôle historique du parti, au pouvoir depuis plus d'un demi-siècle, lui qui se vantait d'avoir permis au peuple chinois d'échapper à l'oppression et d'avoir sorti les paysans de l'esclavagisme.
Les débats mettent en cause aussi le fonctionnement du parti dans ses organisations de base, qui ne se contentent pas de défendre l'intérêt de patrons engagés dans une exploitation sans merci des ouvriers mais s'y impliquent directement. Reprenant les conceptions marxistes de l'histoire, les blogueurs ironisent : "Nous sommes parvenus à l'étape du communisme primitif et, selon les lois du matérialisme historique, nous en arrivons à la période esclavagiste, qui est désormais notre avenir".
Ainsi, en un mois, est parti en fumée tout le travail mené depuis cinq ans par les dirigeants actuels quant à la nécessité pour le parti d'être proche du peuple et quant à la construction d'une "société d'harmonie". Le terme même de "société harmonieuse" a pris un sens ironique : "harmoniser" est devenu synonyme de réprimer ou de censurer. On ne dit plus : "on l'a arrêté", mais "on l'a harmonisé" ; "on a censuré mon article" est remplacé par "mon article a été harmonisé"... Ces discussions ébranlent profondément la crédibilité du parti et son autorité. Elles mettent en cause jusqu'à son rôle historique et à sa nature au moment où on s'apprête à en fêter l'anniversaire. Mais le malaise ne s'arrête pas là : il touche aussi l'organisation du PCC.
En octobre 2006, un jeune chercheur de l'Institut politique de la jeunesse (à Pékin), M. Chen Shengluo, a remis un rapport de recherche menée sur le terrain pour observer comment le parti s'organisait au sein des entreprises d'Etat, naguère un de ses bastions. Conclusion : il n'y a pratiquement plus d'organisation à la base ; sur 70 millions de membres, 40 millions seraient inactifs ou "laisseraient glisser".
Il faut dire que, depuis dix ans, avec les privatisations et les fermetures d'usines, beaucoup de membres du parti ont été licenciés ; d'autres, les paysans membres du parti, ont quitté la campagne et abandonné leur groupe politique initial et sont devenus "communistes immigrants". En ville, ils ne trouvent pas d'association équivalente dans les entreprises étrangères dont le patronat, venu de Hongkong ou de Taïwan, s'intéresse peu à la présence de communistes dans ses entreprises.
Certains vont jusqu'à dire du PC qu'il s'agit d'un parti clandestin ! En effet, 60 % des entreprises sont privées ou appartiennent à des capitalistes étrangers. Nombre de patrons n'ont donc pas de carte du parti, bien que ce soient eux qui prennent les décisions ; la cellule du parti se borne à soutenir leurs choix. Autrement dit, dans l'entreprise, c'est plutôt les capitalistes qui dirigent le parti que l'inverse ; ils peuvent licencier les salariés, membres ou non du PC.
Dans cette situation peu glorieuse, nombre de communistes n'avouent plus leur appartenance. Ils redoutent les moqueries et, en outre, se faire reconnaître comme communiste compliquerait pour eux la recherche d'un autre emploi. Dans l'entreprise, d'ailleurs, avec des journées de travail de douze ou quatorze heures, il n'y a souvent ni temps ni local réservé pour mener les activités du parti.
Dans l'idéologie officielle, le parti constitue toujours une "avant-garde" de classe ouvrière et de paysans, dirige le pays vers la société communiste. Mais personne ne croit plus à cette fiction dans une Chine où la croissance s'emballe sur les marchés extérieurs. Cette crise n'est pas sans engendrer de graves problèmes, et d'abord sur les motifs d'adhésion.
Pourquoi aujourd'hui adhérer au Parti communiste ? Les motivations glorieuses d'autrefois ont disparu, et il n'y a plus guère d'idéologie depuis la fin des années 1970. Maintenant, l'on adhère par intérêt personnel, pour obtenir une promotion, par arrivisme. Les candidats se recrutent donc souvent dans les milieux affairistes. Les pratiques courantes de corruption les éloignent des gens honnêtes et talentueux, soucieux de garder leurs distances envers le parti. On doit cependant reconnaître que l'organisation se maintient dans plusieurs sphères de la société, et notamment dans l'armée, dans la police et dans l'administration. Mais ailleurs, dans les campagnes ou dans les usines, on peut dire qu'il s'agit pratiquement d'une coquille vide.
Un tel parti, sans organisation de base ni prestige et dont les membres s'attirent le mépris de la population, ne peut plus absorber les élites politiques et les forces vives de la population. Il dirige un pays à la puissance grandissante et de plus en plus complexe. Il lui faut donc inévitablement se poser la question de son avenir et de celui du monde. A 86 ans, il est entré dans une crise aux multiples aspects et symptômes, mais dont on ne voit pas l'issue pour l'instant.


Cai Chongguo, dissident chinois en exil en France, auteur de "Chine, l'envers de la puissance" (Editions Mango)

En attendant les Jeux olympiques,la cigarette reste une culture populaire
Par Pascale Nivelle
Quotidien Lineration : mardi 3 juillet 2007


Refuser la clope tendue ? «Ça ne se fait pas», explique aimablement notre hôte à la fin du banquet, dans l’un de ces innombrables restaurants enfumés d’une capitale provinciale.
Une femme, passe encore. Les Chinoises ne sont elles-mêmes que 3,1 % à fumer. Mais l’homme qui décline n’en est pas un, tout simplement. L’astuce, provisoire, est de coincer la tige sur l’oreille d’un air gourmand, «pour plus tard». Car, si l’on grille la première Shaanxi («double bonheur», 16 mg de goudron), il faut s’attendre aux tournées qui suivront, de plus en plus amicales, de plus en plus rapides. Pourquoi ne pas réclamer une salle non-fumeurs ? Dans les restaurants qui servent de la cuisine chinoise, ça n’existe pratiquement pas. Partout, les paquets tournent et les cendriers sont pleins. A deux yuans (20 centimes d’euro) le paquet, pourquoi se priver ?
Il est étonnant que la Chine ne compte que 350 millions de fumeurs, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé. Un Chinois sur quatre, sexes et générations confondus. Un million d’accros meurent chaque année. Ainsi que 100 000 victimes collatérales du tabagisme passif.
La presse chinoise, ces derniers temps, ne parlait que du fléau, dans des termes alarmants. Les Jeux olympiques sont une bonne occasion de «donner aux étrangers une bonne image de la Chine». L’exemple vient souvent de haut. Mao allumait ses cigarettes bout à bout. Elles n’avaient pas de nom, car, depuis 1964, un atelier spécial du Sichuan fabriquait pour lui, et quelques autres grands dirigeants, des cigares et des cigarettes de luxe. Chaque ouvrier les produisait manuellement, 30 unités par jour maximum, une façon comme une autre de servir le peuple. L’atelier a fermé ses portes en 1976, à la mort du Grand Timonier. Son successeur, Deng Xiaoping, était aussi un gros fumeur, mais ses goûts plus populaires lui faisaient aimer les banales Panda.
Aujourd’hui, les temps ont un peu changé. Ni Hu Jintao ni Wen Jiabao ne s’affichent en public dans une auréole de fumée. Mais une marque célèbre, les Zhongnanhai, porte toujours le nom du siège du gouvernement central à Pékin. Ce n’est pas le cas partout, dans le Guizhou, par exemple, une photo des célèbres chutes d’eau orne les paquets de Huang Guo Shu.
Les mentions légales ailleurs, «Fumer tue» et autres avertissements plaisants, n’existent pas en Chine. Même sur les paquets de fausses Marlboro ultra-light à 50 yuans (5 euros) vendues sous le manteau.


En Chine, l’enfer des esclaves des briqueteries
Le scandale qui touche la province du Shanxi a pris une ampleur nationale.
Par Pascale NIVELLE
Quotidien Liberation : samedi 16 juin 2007


Il y aurait plus de 1 000 esclaves, dont beaucoup d’enfants de 8 à 16 ans, dans les fabriques de briques des provinces du Shanxi et du Henan, dans le centre de la Chine ( Libération du 12 juin). L’affaire a pris une ampleur natio­nale, avec la décou­verte de 7 500 fours illé­­gaux, mobilisant 35 000 policiers. Résultat : déjà 120 personnes arrêtées et près de 500 travailleurs forcés libérés. Tous ont été blessés, maltraités et racontent «un véritable enfer» : enlevés dans les rues, gares et stations de bus, ils étaient vendus 500 yuans (50 euros) aux ­pro­priétaires des fabriques et travaillaient plus de 15 heures par jour sous les coups et les menaces permanentes.
Enterrés vivants.

L’un des rescapés, gravement brûlé, raconte qu’il était obligé de porter à mains nues les briques à peine sorties du four, rendement oblige : «Si on protestait, on était battus.» Selon le quotidien South China Morning Post, Zhang Zilei, jeune diplômé d’un lycée de Zhengzhou, la capitale du Henan, a été kidnappé en mars alors qu’il cherchait du travail dans une pseudo-agence d’emploi. En mai, il a été grièvement brûlé aux jambes. Sans l’intervention d’un client de l’usine, on l’aurait laissé mourir, ou il aurait été enterré vivant, comme il a vu l’être deux de ses compagnons. Incapable de marcher, il a été conduit à l’hôpital d’où il a pu alerter son père, Zhang Shalin, sans nouvelles depuis des mois. Le propriétaire de la fabrique, secrétaire du Parti local et représentant du comté au Congrès du peuple, rôdait, menaçant. Il a demandé à M. Zhang de régler les frais d’hôpital. Mais celui-ci a alerté la police, qui a fini par intervenir sans entrain : «Les policiers, comme le gouvernement, protégeaient le propriétaire», assure le père. Son fils est rentré à la maison, traumatisé et mutique. Tous n’ont pas eu cette chance. De nombreuses familles cherchent encore leurs enfants, certains disparus depuis sept ans.
Coups de pelle.

L’affaire des esclaves du Shanxi tourne en boucle depuis quelques jours dans les médias locaux et nationaux, avec quantité de photos et interviews. Le Quotidien du peuple s’indignait hier dans un éditorial, rappelant qu’une des briqueteries appartenait au fils du secrétaire local du Parti communiste : «Ces fabriques n’étaient pas totalement invisibles, comment les responsables locaux ont-ils pu laisser faire ?» Dans un reportage de la télévision nationale, un responsable de cette briqueterie a reconnu avoir tué un homme de 60 ans à coups de pelle. Il ne travaillait pas assez vite à son goût : «Il ne travaillait pas bien, donc j’ai voulu l’effrayer un peu», a expliqué le dénommé Zhao Yanbing. La découverte du scandale est à mettre entre guillemets, car de nombreuses affaires de ce type ont été déjà dénoncées depuis des années dans cette région. La collusion entre les dirigeants locaux, les patrons illégaux, et les réseaux esclavagistes est un grand classique, que ce soit dans les mines de charbon ou les briqueteries. Mais il arrive, comme cette fois, que le pouvoir central décide de mettre le holà. Une fois de plus, c’est Internet qui a fait sauter les verrous. Une lettre signée par 400 pères d’enfants disparus diffusée sur un site du Henan, racontant des mois de recherche, a provoqué des milliers de réactions. Ces parents ont ­remonté toute la filière, en dépit des obstructions des policiers locaux, jusqu’à retrouver leurs enfants. Certains portaient encore l’uniforme de leur école.

Le test de Hongkong
LE MONDE 02.07.07 14h47 • Mis à jour le 02.07.07 14h47


Voilà dix ans que le drapeau rouge étoilé de la République populaire de Chine flotte sur Hongkong. Dix ans que l'Union Jack a été amené et que l'administration coloniale britannique, qui dirigeait ce morceau de Chine méridionale depuis les guerres de l'opium du milieu du XIXe siècle, a plié bagage. On se souvient de ce symbole puissant : le 1er juillet 1997, l'Armée populaire de libération entrait dans Hongkong, îlot de prospérité capitaliste scintillant aux portes de la Chine rouge. Cette rétrocession du territoire colonial à sa mère patrie chinoise avait beau avoir eu lieu pacifiquement, on redoutait la suite. Une fois les lampions de l'événement éteints, l'heure ne viendrait-elle pas de la répression sournoise et d'une inexorable régression ?
Ce scénario catastrophe a été démenti par les faits. Il faut admettre que les craintes d'alors ont été exagérées. Les Cassandre ont sous-estimé que la direction chinoise, tout communiste qu'elle fût, était dotée d'une intelligence politique qui lui dictait la prudence. Le régime pékinois n'avait nul intérêt à briser le joyau hongkongais. D'abord parce qu'il en avait toujours besoin pour alimenter le décollage économique de la Chine continentale. Ensuite parce que son attitude à l'égard de Hongkong était considérée par la communauté internationale comme un test. Alors que Pékin briguait l'entrée dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et le statut de pays hôte des Jeux olympiques, ainsi que bien d'autres distinctions, un faux pas sur Hongkong aurait ruiné la respectabilité convoitée.
Ainsi le statu quo fut-il préservé pour des raisons hautement stratégiques. Le capitalisme hongkongais a continué à prospérer comme jadis, parrainé par un Parti communiste bienveillant. Et la vie politique locale, semi-démocratique, n'a pas été déstabilisée. Des élections s'y déroulent sans heurts, les opposants s'opposent, les manifestants manifestent. Redevenu chinois, Hongkong est resté différent. En apparence, Pékin a donc joué le jeu, honoré la formule "Un pays, deux systèmes" censée régir le Hongkong rétrocédé.
Mais il faut toujours se méfier des apparences, surtout quand il s'agit d'une Chine adepte du théâtre politique. La réalité est plus cynique. La tutelle que Pékin exerce sur l'enclave emprunte des voies souterraines qu'illustre en particulier l'érosion de l'esprit critique d'une presse gagnée par l'autocensure. Surtout, le régime chinois bloque la généralisation du suffrage universel, inscrit dans la Loi fondamentale du territoire. Si le statu quo est maintenu, l'avenir n'est pas préparé comme il devrait l'être par un régime obsédé par le risque de contagion démocratique en son propre sein. Il y a là un manquement à la parole donnée qui doit être signifié à Pékin. La Chine a jusqu'à présent été pragmatique. Il lui reste à prouver sa sincérité.

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